mudra du grand Bouddha Amida de Kamakura

Les six royaumes du samsara

Yama et la roue du samsara
Dans nombre de croyances, une vie vertueuse vous mènera après la mort dans un séjour plaisant, là où au contraire une existence nuisible ne présage rien de bon pour votre devenir post mortem... Dans le bouddhisme non plus. Enfin plutôt aussi. En gros c'est un peu pareil mais en étant quand même bien différent!

Déjà du point de vue bouddhiste, rien d'éternel ! Tout est impermanent, ce qui se passe après notre existence n'échappe pas à la règle : où que vous alliez vous n'y resterez pas indéfiniment ! (bon néanmoins ça peut être très long... Mais vraiment très long...) Selon la cosmologie bouddhiste, le samsara (c'est-à-dire le monde où nous évoluons et renaissons, source d'infinies souffrances) est composé de ce qu'on appelle les six royaumes, ou six destinées :

  • - Les enfers
  • - Le royaume des esprits affamés
  • - Le royaume animal
  • - Le royaume humain
  • - Le royaume des asuras (démons)
  • - Le royaume des dévas (dieux)

Existence après existence, nous passons indéfiniment d'un de ces royaumes à l'autre, sauf si le grand éveil complet nous libère de ce pèlerinage éternel au sein de la souffrance. Quelques éclaircissements seraient ici intéressants :

Les enfers (narakas) sont dominés par la haine et la souffrance : ce sont ces états d'esprit qui y mènent. Ces enfers sont mutiples, ils peuvent être chauds ou froids. Le modèle le plus connu est celui des 8 narakas chauds et 8 narakas froids. Ce sont bien sûr des endroits où l'on souffre d'une façon inimaginable et à titre d'exemple une vie dans le naraka des grands cris y dure 663,552x1010 années... (non, non, c'est pas le plus long...)

Le royaume des esprits affamés est dominé par l'avarice. Ici c'est le désir névrotique qui mène à une renaissance dans ce monde. Les esprits affamés ont parfois la forme d'êtres possédant des ventres de taille démesurés, avec un long cou très étroit : ils ont toujours faim et soif, mais le peu de nourriture et de boisson qu'ils peuvent parfois trouver, soit ne passe pas dans leur oesophage, soit les brule au passage. Leur ventre désespérément vide ne se remplit jamais et ils passent leur temps à ressentir cet atroce sentiment de manque.

Le royaume animal, que nous connaissons bien puisqu'il côtoie le nôtre, est dominé par l'ignorance. les animaux passent leur vie sans jamais comprendre les tenants et les aboutissants des événements, uniquement mus par leurs instincts, en permanence confrontés à la peur.

Ces trois premiers mondes sont appelés les "trois destinées non-bienveillantes", l'on y trouve presque que de la souffrance. Les trois suivants sont les "trois destinées bienveillantes", mélangeant souffrance et plaisir.

Le monde humain, qui nous est bien familier, est dominé par le désir. "Humain" désigne ici toute créature ayant des capacités physiques ou cognitives comparables aux nôtres: si demain on découvre que le yéti existe bel et bien et est le descendant d'une race humaine presque éteinte, capable de raison et de sentiments, il appartiendra lui aussi au monde humain. Mise à part cette précision, tout le monde voit bien de quoi on parle... (sinon il faut quand même sortir un peu le dimanche hein, je peux rien pour vous là!)

Le monde des asuras est dominé lui par la jalousie. On parle aussi parfois de démons, mais pas au sens monothéiste : ici ce ne sont pas les lieutenants d'une entité fondamentalement mauvaise qui séjournent dans les enfers, mais plutôt des quasi-dieux, jouissant des mêmes privilèges et ne manquant de rien. D'ailleurs, comme les humains et les animaux, les dévas et les asuras partagent la même sphère d'existence. On pourrait penser que c'est pas mal ça comme situation, asura, mais il n'en est rien : ils sont jaloux comme des poux, compétitifs, belliqueux et passent leur temps à vouloir faire la guerre aux dévas... Et se font ramasser systématiquement, ce qui aggrave encore leur jalousie alors qu'ils ont déjà tout ce qu'il leur faut et même plus encore.

Enfin on fini par le monde des dévas, les dieux, dominé par le bonheur. Ici c'est beaucoup mieux : pas de souffrance, énormément de plaisir, le stéréotype du paradis. C'est l'existence des dévas qui fait parfois penser que le bouddhisme est une religion polythéiste, mais en réalité ces dévas ne sont pas vénérés.

Si vous êtes normalement constitué, vous avez tendance à vous dire "Bon, si je peux viser une prochaine renaissance, autant que ce soit chez les dévas..." Et ben raté. Vous êtes tombés dans le ravin. Les plus attentifs d'entre vous se rappèleront les premières lignes de l'article : rien n'est permanent ! La vie au paradis ne l'est donc pas non plus et après y avoir passé un semblant d'éternité, le fait de devoir repartir pour un tour dans le samsara est une souffrance d'un raffinement exceptionnel ! On dit par exemple que les dévas sont capables de percevoir l'avenir et qu'ils vivent longtemps dans le déni de cette conclusion inévitable. Donc, après avoir épuisé leur karma correspondant, quand les premiers symptômes du changement d'état apparaissent les autres dévas se détournent du mourant pour pouvoir rester dans le déni. C'est donc seuls que ces dévas en fin de course prennent conscience qu'il est trop tard, en ayant la prémonition de toutes les souffrances infinies qui les attendent de nouveau...

Donc les dévas bof. Quelle est la meilleure des renaissances ? Et ben c'est... le royaume humain ! Pourquoi ? Parce que c'est le royaume le plus équilibré en terme de souffrance et de plaisir. Nombre d'entre nous ne souffrent pas assez pour que ça les empêche de pratiquer la Voie, mais suffisamment à l'occasion pour se rappeler que ça a du bon de vouloir se libérer du samsara. (En vérité, la meilleure des renaissances est celle qui nous permet d'aller au-delà de ces six royaumes... Comme la Terre Pure !)

Ces six royaumes, existent-ils concrètement ? Je n'en sais rien. Peut-être après tout, on ne connait pas tout à notre univers. Pour autant on n'en a aucune preuve. Personnellement je conçois ces mondes plus sous leur aspect symbolique qu'autre chose pour une bonne raison : ça me semble plus utile au quotidien. En voyant les choses sous cet aspect-là, finalement, on passe en permanence d'un royaume à l'autre, parfois même pensée après pensée. Il est intéressant de considérer un moment de pure haine comme étant une plongée en enfer qui peut potentiellement être quasiment sans fond. Un petit séjour chez les asuras nous invite à reconsidérer les choses: ai-je vraiment besoin de ce que je convoite si ardemment ? Ne suis-je pas déjà heureux en réalité ? Si je me prélasse dans une période de bien-être, ne suis-je pas au paradis, insouciant, perdant de vue l'importance de la pratique spirituelle ?

Une autre considération intéressante selon moi est la suivante : trop de souffrance ne permet pas une pratique efficiente, mais trop de confort non plus. Ces deux extrêmes sont des obstacles à la réalisation. C'est sûr que lorsqu'on est jeune, beau, riche avec du talent ou une intelligence brillante, le côté ingrat et fondamentalement insatisfaisant de l'existence saute moins facilement aux yeux. Pour autant, un jour ou l'autre, même les mieux lotis finiront aussi par avoir leur propre lot de souffrance.

Nous sommes finalement nombreux à pouvoir nous réjouir d'avoir suffisamment pour pratiquer correctement, sans être aveuglé par les facilités d'une vie ouvertement trop aidante. Est-il si facile de bénéficier de circonstances aussi avantageuses ? C'est la question que nous pose les six royaumes du Samsara. Dans le doute ne perdons pas notre temps !

Gratitude

Namu Amida Butsu
boutton de retour
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