mudra du grand Bouddha Amida de Kamakura

Les myōkōnins

statue de Genza san
Il semblerait que la plus vieille technologie de l'humanité soit le matelotage, c'est-à-dire l'art de faire des noeuds. Personnellement, le matelotage est une discipline qui me fascine : il y a des professions qui utilisent quotidiennement des noeuds et ces techniques existent parfois depuis la nuit des temps. La marine est sans doute la discipline où l'art du matelotage a été élevé à son plus haut niveau. Il existe toutes sortes de noeuds pour faire toutes sortes de choses, chacun ayant ses particularités propres. Tel noeud sera le plus solide, tel autre le plus rapide à faire, tel autre encore le plus polyvalent... C'est toujours une histoire de compromis entre la facilité à le nouer, son utilisation, la facilité à le mémoriser, sa solidité... La majorité des noeuds que l'on connaît ne subit plus de modifications : en effet, depuis déjà très longtemps, certaines personnes sont parvenues à trouver ce meilleur compromis ce qui fait qu'on utilise ce même savoir-faire de génération en génération. Il y a vraiment beaucoup de techniques et d'intelligence au coeur du matelotage.

Un autre point qui mérite d'être soulevé selon moi est le suivant : une grande partie de ces techniques ont été élaborées, améliorées, perfectionnées par des gens tout à fait illetrés, sans instruction. Et pourtant, ils étaient tellement capables que nous n'avons pas encore trouvé comment faire mieux. Comme quoi intelligence et instruction, bien que souvent liées, sont bien deux choses à part.

"Quel rapport avec le bouddhisme ?" me demanderez-vous. Et ben les myōkōnins ! Dans le bouddhisme Shin, la figure des myōkōnins occupe une place toute particulière. Un myōkōnin est une personne qui a la particularité d'être un dévot qui s'est entièrement, totalement remis à Amida, à tel point que cette personne est considérée comme un exemple pour les autres. Et bien souvent ces personnes, loin d'êtres des érudits, étaient au contraire peu instruites, voire même complètement illetrées.

Il est rare que ces personnes aient laissé des écrits (s'ils étaient souvent analphabètes, ça fait sens), mais leurs vies ont pu être racontées par certains de leurs contemporains. En langue anglaise on les connait surtout par l'intermédiaire de D.T. Suzuki. Personnellement j'en connais (pour l'instant) surtout deux : Saichi et Genza.

Saichi est né vers 1850 (décédé en 1932) dans la province à l'époque reculée de Shimane au sein d'un petit village de pêcheurs. Il était fabricant de "getas", les fameuses sandales traditionnelles japonaises. Fervent dévot, durant sa journée de travail sa relation très intime à Amida lui inspirait des poèmes, qu'il notait sur les chutes de bois à sa disposition. Ayant peu d'instruction il n'écrivait qu'en kanas, néanmoins, il ramenait chez lui ces chutes de bois et recopiait dans des petits carnets d'écolier les poèmes en question. C'est pour cela qu'à l'heure actuelle on dispose de ses poèmes, souvent très courts et très inspirants. De ce que j'en sais, les seules traductions en français qui existent à l'heure actuelle, vous pouvez les trouver ici.

Genza est né en 1842 (décédé en 1930) et a vécu dans la préfecture à peine moins reculée de Tottori dans un village de paysans. Lui-même était un paysan analphabète. Son père (qui était dévot Jōdo Shin) mourut prématurément, et sur son lit de mort il recommanda au jeune Genza de s'en remettre à Amida. Ce dernier en fut profondément ébranlé et chercha pendant 12 ans à atteindre Shinjin, multipliant les visites aux prêtres et aux temples. Finalement, alors qu'il chargeait sur le dos de son boeuf l'herbe estivale fraîchement coupée, le fait de s'en remettre à son animal pour porter son propre fardeau lui fit prendre soudainement conscience de la nature du pouvoir autre. Par la suite, nombre de ses attitudes et de ses réactions témoignèrent de sa totale confiance en Amida et le récit de sa vie est devenu une source d'inspiration. Il existe un manga (traduit en anglais) qui témoigne de la vie de Genza : "Genza-san" de Terumi Fujiki.

Il existe encore bien d'autres myōkōnins, mais ce ne sont pas forcément des gens très connus, et les ressources en français sont hélas bien rares à l'heure actuelle. Au fil de mes découvertes je me ferais bien sûr un plaisir de vous faire part de l'existence de ces dévots exemplaires.

Gratitude

Namu Amida Butsu
boutton de retour
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