Les sept patriarches du Jōdo Shinshū

Pour durer à travers le temps il est donc nécessaire de se rattacher à une tradition. C'est pour cela que dans de nombreuses branches bouddhistes le concept de lignée spirituelle est très important. On reçoit un enseignement de la part d'un enseignant ou d'un maître (à priori) légitime, qui l'a lui-même reçu de quelqu'un de légitime et ainsi de suite jusqu'au fondateur de la tradition, le Bouddha Shakyamuni en ce qui nous concerne ici.
Certaines branches du bouddhisme attachent une importance toute particulière aux lignées ininterrompues. Je pense notamment à la tradition Zen, où la lignée des patriarches est chantée tous les matins dans les temples. Bien sûr, ce sont souvent des légendes dorées : sur de tels intervalles de temps, à travers un territoire géographique si grand, difficile de maintenir de façon stricte une telle continuité, surtout si l'on tient compte des jeux politiques et des égos des personnes impliquées dans cette chaîne censément ininterrompue d'enseignants... Mais même un peu "corrigée", une telle lignée est porteuse d'une symbolique très forte, qui a son utilité.
Le Jōdo Shin ne fait pas exception, mais sa lignée est plus virtuelle : en effet, Shinran Shonin se réclamait de sept maîtres, les sept religieux éminents, censés avoir transmis la doctrine de la Terre Pure depuis le Bouddha Shakyamuni lui-même. Le fait est que ces personnes ne se sont pas connues directement, par contre les maîtres plus récents se sont approprié l'héritage des maîtres plus anciens. Ces sept patriarches sont Nāgārjuna, Vasubandhu, Tanluan, Daochuo, Shandao, Genshin et Hōnen.
Nāgārjuna (150-250) est un moine indien très important pour de nombreuses écoles Mahāyāna : il a fondé l'école Madhyamaka "la voie du milieu", qui a eu un impact significatif sur cette branche du bouddhisme. Sa doctrine met l'accent sur la vacuité et sur le fait que tous les phénomènes sont interdépendants et impermanents. Pour autant il ne faut pas vouloir faire de la vacuité une sorte d'essence transcendantale : la vacuité elle-même est vide.
Vasubandhu (IVe siècle) est lui aussi un moine indien, souvent considéré comme un boddhisattva. Il est l'un des fondateurs de l'école Yogācāra, école qui affirme que les phénomènes n'existent pas en eux-mêmes mais seulement dans l'esprit des êtres qui les perçoivent. Un de ses traités, "Le traité de la Terre Pure", a une importance capitale dans l'histoire de cette tradition.
Avec Tanluan (476-542?) on arrive dans la lignée des patriarches chinois. Initialement moine bouddhiste, suite à une maladie Tanluan s'est tourné vers les enseignements taoïstes, notamment afin de rechercher l'immortalité. Il rencontra Bodhiruci un moine et traducteur indien, à qui il demanda si, en matière d'immortalité, on pouvait trouver des enseignements indiens bouddhistes supérieurs aux enseignements taoïstes. La légende raconte que Bodhiruci le rembarra assez catégoriquement avant de lui faire l'éloge des enseignements de la Terre Pure et de lui confier un exemplaire du soutra des contemplations. La contribution majeure de Tanluan consiste en un commentaire au "Traité de la Terre Pure" de Vasubandhu, commentaire qui eut beaucoup d'importance par la suite. Il est aussi à l'origine de la distinction entre "Voie des saints" et "Ecole de la Terre Pure".
Daochuo (562-645) est lui aussi un moine chinois. En 609, il visite un monastère du Shanxi où Tanluan a vécu. Profondément marqué par la lecture d'une épitaphe dédiée à ce dernier, il décide de devenir son disciple à titre posthume et de se consacrer à la tradition de la Terre Pure afin de poursuivre l'oeuvre de son maître. Selon Daochuo, son époque est déjà celle de Mappō, ce qui implique que les préceptes sont devenus caducs et que les êtres ne peuvent plus se libérer par leurs propres capacités. Daochuo propagea alors la pratique du nembutsu, nembutsu qu'il récita lui-même jusqu'à 70000 fois par jour.
Shandao (613-681) est également un des patriarches chinois. Sa conviction concernant le fait que la récitation du nembutsu se suffisait à elle-même a profondément influencé Hōnen. En plus de cet accent mis sur le nembutsu récitatif, il a aussi affirmé que la clause d'exclusion du voeu primordial n'était en réalité qu'un moyen adapté pour inciter les êtres à se détourner de ces actions totalement condamnables, un abandon entier et sincère à Amida garantissant dans tous les cas la renaissance au sein de la Terre Pure.
Genshin (942-1017) est le premier maître japonais de la lignée. Il est notamment connu pour son Ōjōyōshū, la "Somme sur la naissance dans la Terre Pure". Cet ouvrage est célèbre pour sa description des enfers bouddhistes et de la Terre Pure. On connaît aussi Genshin pour sa propagation de la récitation du nembutsu au moment de la mort. Il a d'ailleurs participé à la création de la "Société Nembutsu des 25", une fraternité spirituelle ayant pour but l'entraide entre ses membres afin de s'assurer un décès dans les conditions les plus favorables à une renaissance dans la Terre Pure.
Hōnen Shonin (1133-1212) quant à lui est le maître direct de Shinran Shonin. Je ne vais pas m'étendre particulièrement à son propos, j'ai l'intention d'écrire un article à son sujet dans peu de temps !
Il est intéressant de noter que le nom de "Shinran" est en réalité composé de "shin" et de "ran", qui est une référence aux noms de Seshin (Vasubandhu en japonais) et Donran (nom de Tanluan en japonais). De cette façon, Shinran Shonin a clairement indiqué où se trouvaient ses affinités en terme d'enseignants.
Gratitude
Namu Amida Butsu

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